Poèmes de Kza Han - automne 2007
Poèmes
La chute d’un corps
Un matin, ma mère ne reconnaît plus
son visage dans le miroir.
En soi, hors de soi
Un soir, tenant ma main dans sa main,
son regard perdu par-delà l’écran,
côte à côte, ma mère me répète, se répète :
“ La vie humaine, c’est le chemin d’un vagabond ;
on s’en vient les mains vides,
on s’en retourne les mains vides. ”
À la lisière
D’exil en exil
de chute en chute
gît mon père
dans son tombeau
impulsé, expulsé
par les siens
dans leurs tombeaux
de la montagne ancestrale,
parmi les herbes folles
à la lisière.
Trois paravents
y
Sur une rizière glacée
qui laisse transparaître
l’éteule de riz dressée
une toupie se laisse tourner
sur son pivot
en ellipse de soi
cinglée de verticalité,
cerclée d’enfants.
y
Banni de son royaume
un lettré en guenille
éclaboussée d’encre
frotte un bâtonnet d’encre
sur la pierre à encre,
bannissant son royaume.
De l’encrier en grenouille
ruisselle l’encre
dans une coupe ébréchée,
éclaboussant sa masure.
De son pinceau
ruisselant d’encre
il trace
à la verticale
l’inflexible bambou noir
sur le sol de terre battue,
éclaboussant son sceau.
y
Cette verticalité
qui se dresse
au-dessus de l’abîme !
“ Et celui qui n’est pas oiseau
ne doit pas se jucher
sur l’abîme. ”
Car l’abîme appelle l’abîme.
Côte à côte
ces chaussures d’enfant
sans enfant
ces enfants d’Ève
tirée de la côte d’Adam.
Chacun à son tour
se laissa choir
tournant le dos
à cette verticalité
qui se dresse
au-dessus de l’abîme.
En zoom,
ce tigre du Mont Blanc de Corée
détourné de sa destinerrance
au bord du lac céleste,
dénaturé de génération en génération
dans une réserve de Chine,
il ne cesse de bondir, rebondir
attrapant, rattrapant
les morceaux sanguinolents
balancés d’une camionnette brinquebalante,
avant qu’ils ne s’abattent sur le macadam.
En zoom,
ce tigre du Mont Blanc de Corée
détourné de sa destinerrance
au bord du lac céleste,
dénaturé de génération en génération
dans une réserve de Chine,
il ne cesse de surgir, resurgir
jouant, rejouant
avec l’ombre de Li Po en tigre blanc
chevauché par l’Immortel banni sur cette terre
ravagée par les Pasteurs-du-désert.
En zoom,
ce tigre du Mont Blanc de Corée
détourné de sa destinerrance
au bord du lac céleste,
dénaturé de génération en génération
dans une réserve de Chine,
il ne cesse de sauter, sursauter
tranché, retranché
de son ombre donnée en pâture
par l’antique autoestrangement
de quelque côté qu’il se tourne.
Kza Han ( Publié originellement dans Revue Alsacienne de Littérature / Elsässische Literaturzeitschrift, n° 103, 3e trimestre 2008, “ Le dépaysement ”, p. 12-15)